mardi 28 septembre 2010

Divagations d'un chasseur

Je suis un chasseur.

Pas de gros gibier. Pas de petit non plus. Je ne supporterais pas d'avoir à achever une bête dont la première balle n'a pas atteint les parties vitales. Je suis un chasseur de nuit. Je suis un chasseur de minuscule gibier.

Il y a d'abord le premier ménage. À la clarté. On fait le tour de la chambre. Ça se passe avec une serviette. Noire de préférence. Longue de préférence. Déjà sale de préférence.

L'art suit. Dans la noirceur. Pas besoin de lumière. Ce ne serait plus de l'art. On est couché sur le dos. Ça laisse le choix de l'arme. Seule la tête dépasse de la couverture. On ne Lui laisse pas le choix de la cible. On se concentre. On se détend. On L'entend venir. Une F1 très très loin à basse vitesse. Il s'approchera bien assez vite. On L'entend de plus près.  Il est tenté mais hésite encore. On ne bouge pas. Il est très près, et prêt. Lentement, on sort de sous la couverture l'arme, le bras droit dans mon cas. Un gaucher, j'imagine, que ce serait le bras gauche. On approche la main de notre tête. Pas trop proche. Il pourrait changer de cible pour la main. À un certain moment, Il est si près qu'on peut sentir sur une infime partie de notre visage la brise engendrée par son vol. Cette brise se déplace de manière malhabile, saccadée. Il se posera. Il peut arriver qu'on ne le sente pas se poser. On se passe alors doucement la main près de l'endroit où Il a été entendu pour la dernier fois. Dans les cheveux aussi. Il reprendra son vol. Il se pose. Généralement du côté du visage opposé au plus proche côté du lit. Ce sera un problème plus tard. On a environ une seconde. Si on attend trop longtemps, on a une séquelle et on se salit.  Une seconde pour l'écraser d'une bonne claque contre notre visage. Généralement sur la tempe. Ou dans le front. Si c'est raté, on L'entend reprendre son vol. On replace le bras sous la couverture. On se concentre. Si c'est réussi, c'est le silence. Je réussis deux fois sur trois du premier coup. Je suis un chasseur. C'est réussi. Pas de prière. Ces bêtes n'ont pas de dieu. Elles n'en méritent pas d'ailleurs. Il reste à se débarrasser du corps. Ça se fait du revers de la main. La main droite dans mon cas. C'est plus compliqué lorsqu'Il s'attaque au côté du visage opposé au côté le plus proche du lit. Comme je disais tantôt. On balaie le lieu de l'impact. On balaie les cheveux. On balaie un peu l'oreiller. On attend le prochain. Après quelques-uns, il n'y en a plus. Ou Ils se cachent. Ils ont bien raison. Je suis un chasseur.

Alors vient le sommeil. Un sommeil de chasseur.

5 commentaires:

  1. Je suis la femme du chasseur... celle qui se laisse piquer, car son mari ne chasse que de son côté du lit. Je suis cette femme de chasseur qui a la figure toute piquée au réveil et qui, pendant la nuit, ne trouve pas le sommeil en raison de cette chasse engagée... Je suis aussi cette femme de chasseur qui oublie de fermer la porte du boudoir pour laisser entrer le bétail afin de s'assurer que son mari aura de quoi se chasser... n'est-ce pas ça l'amour ?

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  2. Chère femme de chasseur,

    Ici le père du chasseur, chasseur lui-même.
    Si j’ai bien compris, c’est vous qui attirez le gibier; vous qui, par votre art de la séduction, permettez à votre mâle de mari d’exercer son art cynégétique. Et ensuite, il se plaint! Ne réalise-t-il pas que vous avez fait tout le travail?! Il n’a qu’à taper, en brute qu’il est. Brute hypocrite qui, par surcroît, nie être assoiffée de sang!

    Il fait honte à l’ESPRITt des disciples de Nemrod… mais j’avoue que sa TECHNIQUE me laisse pantois. Je suis hahuri, stupéfait d’avoir engendré une telle boule d’énergie retenue, ce guépard de patience paisible prête à éclater, ce loup-garou à l’oreille nocturne terriblement efficace, ce raton-laveur qui nettoie la scène de son crime — ni vu ni connu! Il est un jeune chasseur : il aura toute sa vie, à L’Acadie, pour parfaire l’art de se servir de ses deux mains, et des deux côtés du grabat. En attendant, choisissez votre place au lit!

    Mais, chère Diane, n’êtes-vous pas chasseresse vous-même? Cet étalon, c’est bien vous qui lui avez mis le licou? Ce taureau, c’est bien vous qui l’avez retenu par les cornes? Ce jars, c’est bien vous qui l’avez engraissé, gavé? Était-ce pour son foie ou pour son duvet? Alors, glissez-vous sous le duvet et subissez — ou profitez de, c’est selon — sa chasse protectrice. On ne peut vaincre sur tous les fronts. Comme vous dites si bien : choisissez vos batailles!

    Dès l’aube, samedi matin, aux abords de la rivière L’Acadie et dans les champs de maïs environnants, c’était l’ouverture de la chasse au canard. En ramassant les fruits de votre pommier, chère Ève, nous entendions les tapes intermittentes des fusils. C’était musique à mon oreille. C’est la grâce que je vous souhaite, la tête sur l’oreiller.

    Que Saint-Hubert vous bénisse et accompagne votre couple.

    Votre beau-père.

    P.S. : Ludovic, à quelle heure t’es-tu levé pour nous écrire cette nouvelle à suspense?
    Et le texte du père, il est où?

    SonP’

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  3. HEY!! Ludovitch!
    C'est bien écrit.
    Jaune house

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  4. A lire ton texte digne d'un best-seller sur la chasse, ça me donne presque le goût de m'adonner à ce sport typiquement masculin!

    Au fait, comment s'appelle la bête que tu chasses avec autant d'assiduité?

    Salutations à la femme du chasseur!

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  5. Chers amis,

    C'est toujours un plaisir de vous lire!

    Je vous adore,

    Bisous

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