Hier, nous avons été souper avec des parents adoptants qui sont ici à Lugansk. Pendant le souper, Ludovic s'est commandé une seconde bière qui a tardé à venir ; elle a tant tardé que Ludovic espérait, à un certain moment, que le serveur l'eut oubliée, puisque, finalement, l'attente avait mitigé son besoin et, du fait, son envie. Cette situation a éveillé en moi une réflexion quant à l'attente. Dans notre société actuelle, l'attente est porteuse d'impatience, d'armertume, mais aussi, parfois, d'illusions, d'espoirs et d'excitation.
Il y a l'attente pour son café au Tim Hortons, celle à la clinique et, encore pire, celle en ligne avec le service à la clientèle de Bell. Mais il y a aussi l'attente des festivités de Noël, d'une promotion, d'un premier baiser. Chacune de ces attentes sait éveiller une multitude d'émotions aussi fortes les unes que les autres. Autant l'attente peut sembler justifiée, autant, à d'autres occasions, celle-ci peut paraître insensée, voire même démesurée. Les émotions inhérentes à l'attente sont donc indubitablement relatives à la situation, mais aussi fortement subjectives.
Qu'est-ce que 30 minutes ? Très peu de temps vous direz et à cela, je confirme qu'attendre seulement 30 minutes à la clinique est un exploit, tout autant que celui d'obtenir un passport. Or, une attente de 30 minutes peut paraître interminable dans un bouchon de circulation sans air climatisé à une température excédant 30 degrés. Et que dire d'un examen de la prostate aussi longuement effectué...
Alors, quel regard peut-on porter sur une attente de six ans ? Si, il y a six ans, j'avais commandé un matelas et que celui-ci ne m'avait toujours pas été livré, une réaction d'indignation, de frustration, de découragement, de désillusion aurait été certes justifiée. On m'aurait conseillé d'annuler ma commande, de considérer les différents recours possibles afin d'obtenir ce que j'avais alors commandé. Alors si six ans d'attente pour un matelas est jugé titanesque, qu'en est-il de ce que j'ai, pour ma part, tant attendu... ?
Au cours des six dernières années, ma vie a été fort chargée. Accumulant les études, les emplois, les défis, les projets, mon esprit et mon corps furent des plus occupés. Néanmoins, mon ventre demeurait vide et mon coeur ne cessait de se barbouiller. J'attendais. Je désillusionnais. Je désespérais ou je niais ce vide. Je croyais être en mesure de combler ce vide, mais toujours celui-ci me rattrapait dans un détour de la vie.
Pendant ce temps, certains baumes sont venus m'apaiser. Ce tout premier baume a été le titre de marraine. Ce mot était si doux à mon oreille. Je n'étais plus uniquement Chantal, j'étais Marraine et la façon dont Nicolas escamotait les deux R du mots Mahaine, me plaisait tout autant. Ensuite, vint celui de Tante. Il y avait enfin deux bouts de vie à aimer, à faire courir, à cajoler. Le titre de Madame Chantal a aussi occupé une place de marque dans ce petit coeur dégarni. J'avais une panoplie d'enfants dont je pouvais prendre soin et, surtout dans la dernière année, une douceur maternelle est venue teintée ce titre de Madame Chantal.
Mais toujours, ce vide, ce manque... jusqu'à hier... quand, force est d'admettre que je l'attendais, mais ne l'espérais plus, est venu ce petit mot... Mama... une fois aurait été suffisant mais, qui sait, peut-être ayant perçu ce vide, il a décidé de me le répéter trois fois afin de s'assurer que celui-ci s'imprègne à tout jamais, là où depuis trop longtemps le vide avait fait sa marque.
Quand ses petits bras se sont levés vers moi pour accompagner ce mot, ça y était. J'ai alors compris que mon attente venait de prendre fin. J'étais Mama... Enfin, je me sens complète. Je suis une fille, une soeur, une tante, une mahaine, une enseignante, une épouse et, maintenant, une maman comblée et heureuse...
Aucun diplôme, aucune réussite et aucun défi ne vient accoter la fierté qui m'envahit quand j'entends la douceur de ce petit mot.
Chantal